Une histoire d'ombre portée

[Ermenando LaVilla]

C'est le bruit d'un attroupement en contrebas qui attira l'attention d'Ermenando LaVilla.

Le jeune homme sirotait son café de l'après-midi, tranquillement installé dans le hamac suspendu à la poupe du Bonheur d'Antipolis* lorsqu'un projectile inattendu frappa son postérieur à travers la toile de jute. Le malotru avait visé juste et son public, manifestement nombreux, accueillit cet essai fructueux d'une clameur chaleureuse.

« WOUHOU ! »

Ermenando manqua se renverser son breuvage brûlant sur lui-même, mais, sans rien perdre d'un flegme (pas tout à fait) naturellement acquis au contact de populations beaucoup moins civilisées que la faune d'Arteylia, il pencha la tête par-dessus le rebord du hamac pour observer l'attroupement qui s'était formé Rue de Lespa et qui bouchait la circulation.

« Qu'est-ce que vous voulez les moches ? »

« DÉGAGE DE LÀ ! »
« TU NOUS FAIS DE L'OMBRE AVEC TON BALLON »
« DESCENDS UN PEU NOUS VOIR, ON VA BIEN T'ACCUEILLIR »
« ON VA TE METTRE À L'OMBRE, OUAIS ! »
« TERRORISTE SOLAIRE ! »



* Le Splendeur de Zanzibar, pour ceux qui l'ont connu, s'est perdu corps et biens à la page 451 du 3e tome des Aventures de LaVilla, disponible dans toutes les bonnes librairies de ce monde et d'ailleurs.

[Ermenando LaVilla]

D'une habile pirouette, Ermenando se balança jusque sur le pont principal du dirigeable et d'un bond, se glissa dans ses bottines en crocodile pour les chausser. Il attrapa son chapeau qui traînait sur la table de navigation où une carte nautique des îles submergées de Narois était dépliée.

Ce n'était pas le moment de se replonger dans des calculs de cap compliqués, d'autant qu'en bas, les insultes fusaient toujours. Jamais il n'aurait pu se concentrer. Il fallait d'abord régler ça.

Trois options s'offraient à lui :
- un petit coup de feu en l'air, ça n'a jamais fait de mal pour disperser une foule, mais les autorités risqueraient de rappliquer
- tenter le charme, une petite blague, faire le show et retourner la foule en son sens
- céder et conduire son ballon vers un autre quartier de la capitale. Mais ça ne ferait que déplacer le problème...

Sur le bord de la table de navigation, une autre option : la lettre portant le cachet de l'Impératrice Catella qui expliquait sa présence à Narois. Mais il ne pouvait pas l'utiliser pour si peu, et si il y avait des espions du régime banni parmi l'attroupement des mécontents...
Enfin, "si peu", les insultes laissaient peu à peu aux menaces.

« TU DESCENDS DE TON PERCHOIR LE SINGE ? »
« QU'ON TROUVE UNE MACHETTE, ON VA LUI COUPER SA LIGNE D'ANCRE ! »
« AH OUI, BON VENT ET VIVEMENT LE RETOUR DU SOLEIL ! »

[Hypolite Juan]

Il était 14 heures lorsque le Baron d'Arteylia, Hypolite Juan fut informé de tensions dans un quartier nord de la Capitale. Selon la police locale, un dirigeable était à la source des conflits.

"- Un dirigeable ?! Commissaire, qu'est ce que vous me racontez !? Il n'y a pas de dirigeable à Arteylia.

- Votre Grâce, je vous assure. Quartier Posivia, un ballon sème le trouble. Je crois que vous feriez mieux d'intervenir."

Sur ces mots, le commissaire déposa une photo du dit-dirigeable. Hypolite la scruta puis repris, ronchonnant.

"- Hm... Je vois. Commissaire Terrilio, préparez une brigade. Nous allons rendre visite à l'heureux propriétaire de ce dirigeable."

Le commissaire s'exécuta. Quelques instants après, deux voitures de police débarquèrent près du dirigeable. Le commissaire Terrilio demanda à ceux qui se trouvait sur place de passer leur chemin. Le Baron fut plus radical. Il tira quatre coups en l'air, la foule se dispersant aussitôt.