11 mai 2024 23:50
Le Ministre des Affaires Étrangères, Beniamino Draghi, ou plus simplement "Ben" comme on l'appelait dans le Parti, arrivait au Grand Hall, au milieu des autres membres du gouvernement frazziliste. Ancien chef d'entreprise, sympathisant national-conservateur devenu l'un des plus éminents convertis du Parti, Beniamino est aussi l'un des rares civils, et l'un des visages les plus présentables de la dictature - c'est bien pour ça qu'on lui avait donné l'ingrate responsabilité de mettre en place les relations diplomatiques du nouvel état naroisien avec le reste du monde qui n'avait pas été décidé à coopérer, le réduisant à pas grand chose de plus qu'un émissaire auprès de l'Unitstat du Borowen.
Les errements des militaires qui avaient initialement pris le pouvoir, et l'évasion réussie d'un certain Prince qui fanfaronnait un peu partout avaient sérieusement entamé la crédibilité étrangère de leur nouveau régime, et il ne manquait pas de réclamer à ce que les agences de sécurité frazzilistes apportent enfin une solution permanente au problème Bunarys. Il assumait d'être opportuniste et prêt à vendre ses principes pour la sûreté du pouvoir qui l'avait gâté - et ne craignait pas, jusque là, d'être inquiété pour sa pudeur militante, car après tout, il avait le même profil que le Guida : ancienne élite sous la démocratie, trahissant les siens jusqu'à devenir le ponte d'un régime fanatisé.
Mais à présent, Beniamino, comme beaucoup d'autres opportunistes, sentait bien que le vent tournait, tandis que les tensions avec les états voisins montaient et que le contrôle du Parti sur le pays commençait à s'affaiblir, et qu'à l'inverse l'armée et la Milice prenait de plus en plus le pas sur le gouvernement civil. Dans un contexte aussi moribond, personne n'avait besoin d'un diplomate, et encore moins d'un attentiste. Beniamino avait donc passé la journée à rassembler ses ressources pécuniaires, fruits d'années de placements discrets et de pots-de-vins des administrateurs moins fûtés du régime, et à les exiler sur des comptes en Nouvelle-Providence, en Laurésie et à Guioti. Il avait aussi collecté de quoi négocier sa sécurité, si jamais ça venait à devenir nécessaire.
S'épongeant le front - il faut dire que ces gradins avaient beaucoup de marches - gardant un air grave et sérieux pour ne pas laisser transparaître la panique qui le gagnait chaque jour un peu plus, il prit place dans les gradins, essayant autant que possible d'éviter les hommes en uniforme qui paraissaient devenir de plus en plus dangereux à mesure que le Guida perdait prise sur son régime.